Le Père Goriot, boeuf gras elevé par
Le boeuf gras devant la boucherie Mugler à Rothau.
Robert Mugler, de Rothau, à côté d'un gros boeuf qui vient de faire un tour en ville.
Le «boeuf gras» devant l'actuelle boucherie Machet à Rothau. Cette photo appartient à M. Pierre Hutt, de Rothau, que l'on aperçoit à l'âge de 3 à 4 ans à l'extrême droite. Il se souvient que son père, qui exerçait le métier de boucher à la place de l'actuelle boucherie Machet, promenait, lui aussi, deux fois par an, un gros boeuf dans les rues de la ville. Sur la photo, prise en 1924, on aperçoit à gauche et à droite de la vedette de la jour-née deux commis, dont M. Pierre Felder qui tient la masse. (Photo ESSOR).
( Coll. part. Photo ESSOR )
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Une tradition pascale perdue... LE BŒUF GRAS Une tradition perdue, parmi beaucoup d'autres, c'est celle du boeuf gras, encore bien vivante durant le premier tiers de ce siècle. Une ou deux semaines avant les fêtes pascales, la corporation des bouchers organisait dans les petites villes et villages un défilé auquel participaient les maîtres bouchers, leurs ouvriers et leurs apprentis. Mais les vedettes de ce défilé étaient les plus beaux animaux qui devait être abattus en vue des réjouissances gastronomiques marquant la fin du carême, cette période de quarante six jours d'abstinence et de privation entre le Mardi gras et le jour de Pâques.
En tête du cortège venait le plus beau et le plus lourd de tous les boeufs, le «boeuf gras», spécialement sélectionné à cette occasion. Pour cette cérémonie païenne, et un peu barbare, il faut bien l'avouer, l'animal était décoré de fleurs, de rubans et de feuillages, fixés aux cornes, ou en guirlande autour du cou et du poitrail.
Il était conduit et entouré par les bouchers en grands tabliers blancs, portant leurs outils de travail. Des enfants, déguisés ou non, participaient au cortège, ainsi que parfois les éleveurs en sabots, blouses et bonnets paysans, les notables en chapeau melon ou haut-de-forme, le garde champêtre en képi. Le défilé se terminait traditionnellement par la pesée sur la balance publique.
A Rothau, cette tradition a été maintenue jusqu'à l'aube de la Seconde Guerre , d'abord par Charles Mugler père, puis par son fils aîné Charles, maîtres bouchers établis à l'actuel N o 10, place du, Général de Gaulle à l'arrière de l'église catholique, sur le côté droit.
Charles Mugler père et son épouse Emilie Wursteisen étaient originaires d'Alsace Bossue d'où ils avaient ramené cette coutume, peu fréquente dans la Vallée proprement dite, mais répandue dans de nombreuses régions de France, notamment dans la proche plaine alsacienne. Ils s'étaient installés à Rothau quelques années après la Première Guerre et avaient repris la boucherie Lentz.
Le boeuf gras de Rothau était promené à travers les rues, décoré de cocardes et de fleurs en papier semblables à celles que les conscrits mettent à leur chapeau. C'est le maire de Solbach qui, chaque année, engraissait spécialement à cet effet une paire de jeunes boeufs dont la viande succulente ne souffre aucune comparaison avec celle plus commune de la vache, au dire des connaisseurs.
En cours de route, le cortège s'arrêtait devant les divers débits de boisson : il fallait «arroser» l'événement! Comme ce dernier avait beaucoup de succès, notamment auprès de la «marmaille»,
Sous le titre «La promenade du boeuf gras», le «Journal des Voyages» du 3 mars 1889 étudie l'origine de la tradition, qu'il n'hésite pas à faire remonter aux ...Egyptiens!
«Parmi les fêtes qui semblent des legs du paganisme, il faut mettre en première ligne «la promenade du boeuf gras»... et qui avait lieu autrefois, dans la plupart des provinces, sous le nom de «promenade du boeuf viellé ou violé, ou villé» ; sans doute parce que l'animal était promené par la ville au son des violons et des vielles. D'où venait cet usage bizarre ?.. Quelques chercheurs d'étymologie confirment cette origine, en remontant jusqu'aux Egyptiens qui avaient institué une fête du «boeuf» pour rappeler les services rendus par la race bovine à l'agriculture. De l'Egypte, la fête du «boeuf» passa en Grèce et en Italie et se célébra précisément à l'équinoxe du printemps, à l'entrée du soleil dans le signe du Taureau. Nous croyons qu'il faut voir dans le boeuf gras le symbole du carnaval, temps où triomphe la bouche rie. La mort de ce boeuf, tué la veille du mercredi des Cendres, ne se rapportait-elle pas bien à la fin des «jours gras» auxquels allait succéder le Carême, autrefois si rigoureux que toutes les boucheries étaient fermées.»
De son côté, le «Magasin Pittoresque» de janvier 1890 dans un article consacré au même sujet écrit: «Particularité très curieuse et assez ignorée: A partir de 1840, on prit l'habitude de désigner le boeuf gras d'un nom emprunté à un événement politique très marquant de l'année, à un fait très saillant,à un roman célèbre, à un succès théâtral, etc. Ainsi, celui de 1845 fut appelé le père Goriot (roman de Balzac); celui de 1846 prit le nom de Dagobert puis il y eut successivement les boeufs Monte-Cristo, Liberté, le père Tom, d'Artagnan, Porthos, Aramis, Sébastopol, Faust, Fanfan, Bastien, Solférino, Magenta, etc...» Claude JÉRÔME. (ESSOR)
Bois gravé. Cette gravure est un extrait d'une feuille volante imprimée vers 1840 dans la région parisienne, accompagnée d'un texte signalant le parcours du cortège et de celui de l'ordonnance du préfet de police concernant le déguisement carnavalesque. Au sujet du boeuf gras représenté, on lit: «Le boeuf destiné à la promenade des jours gras, encore cette année, a été acheté par M. Rolland, marchand boucher, rue St-Honoré, 363, à M. Cornet, herbager. Cet animal est colossal, il a 1 mètre 80 centimètres de hauteur, et sa circonférence est de trois mètres 25 centimètres, il a été payé le prix énorme de 4.700 francs et pèse 1.775 kilogramme sur pied. Le boeuf gras est arrivé en poste à Paris, conduit par deux postillons enrubannés qui faisaient claquer leurs fouets à qui mieux mieux. Il est descendu majestueusement au milieu d'un grand concours de curieux, de la voiture L'animal qui s'offrira cette année à l'admiration des Parisiens est plus digne que jamais du rôle qu'il va jouer, il se distingue surtout par la carrure du dos et par l'ampleur du poitrail, sa robe est cendrée. Le Cortège partira, à 10 heures du matin, de l'Abattoir du Roule, pour se rendre chez M. Rolland, où il stationnera. Le dimanche, 26 février, il partira de chez M. Rolland à 11 heures, et suivra les rues de: Miromesnil, Faubourg du Roule, etc ...». N.B. — Les indications nécessaires à la rédaction de cet article ont été fournies à l'auteur par sa mère, Hélène Ross, de Barembach, qui a passé son enfance à Rothau, par Madame Charles Mugler, belle-fille du promoteur de la tradition, et par Pierre Claude, de La Claquette. Le document photographique nous a obligeamment été confié par Robert Mugler. A toutes et à tous un grand merci.
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